OPINION 2022-43 "Integrating environmental issues into the conduct of research - An ethical responsibility - Sciences de la vie - Ethique Accéder directement au contenu
Rapport Année : 2022

OPINION 2022-43 "Integrating environmental issues into the conduct of research - An ethical responsibility

AVIS 2022-43 « Intégrer les enjeux environnementaux à la conduite de la recherche – Une responsabilité éthique »

Comité Ethique
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 1047807
Philippe Askenazy
Etienne Bustarret
Henri Carayol
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 936530
Magali Jacquier
  • Fonction : Auteur
Stéphanie Thiébault

Résumé

Le COMETS a été saisi par le PDG du CNRS de la question de l’impact environnemental de la recherche scientifique. Cette saisine s’inscrit dans un contexte d’interrogations profondes, au sein du monde de la recherche, sur la responsabilité de ce secteur à l’égard des défis environnementaux. Un très large accord se fait jour sur la nécessité que la recherche, comme toute activité, participe à l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Après avoir établi son bilan carbone, le CNRS travaille ainsi à la mise en place d’un plan de transition. Mais des divergences notables s’expriment quant aux directions concrètes à suivre. Faut-il désormais s’interdire toute recherche qui a ou peut avoir un impact environnemental négatif – terrain éloigné, expérimentation énergivore, intrusion dans un milieu fragile ? Comment articuler l’enjeu environnemental avec les injonctions a priori contradictoires « d’excellence » et de compétitivité de la recherche ? Faut-il que l’éthique de la recherche s’enrichisse désormais d’une « éthique environnementale » ? Cette orientation n’entraverait-elle pas la capacité de la recherche à produire des connaissances et des solutions innovantes, y compris pour répondre aux dégradations de l’environnement ? C’est parce qu’elle suscite de multiples questionnements sur les valeurs de la recherche, sa finalité et sa place face à un sujet majeur pour la société que la question de l’impact environnemental de la recherche, qu’il soit positif ou négatif, doit être appréhendée non pas seulement sous un angle scientifique ou politique, mais aussi sous un angle éthique. Dans son avis, le COMETS estime d’abord que la prise en compte des impacts environnementaux de la recherche doit être considérée comme relevant de l’éthique de la recherche, au même titre que le respect de la personne humaine ou de l’animal d’expérimentation. Parce que l’éthique de la recherche, comme la notion de « recherche et innovation responsables », conduit à penser les effets de cette activité sur la société, il est de la responsabilité collective des personnels de recherche de prendre en compte sa dimension environnementale. Le COMETS comprend cette responsabilité de manière large : celle-ci impose de réfléchir aux moyens de limiter l’empreinte des pratiques de la recherche « au quotidien » (acheter mieux et moins, optimiser les usages du numérique, limiter les déplacements et les missions, améliorer la performance énergétique des bâtiments) ; mais elle doit aussi conduire à s’interroger sur l’empreinte environnementale des sujets de la recherche ainsi que des voies pour les traiter, et ce pour deux raisons. D’abord, une démarche de limitation de l’empreinte carbone, indispensable, est insuffisante au regard des enjeux de préservation de la biosphère (lutte contre l’effondrement de la biodiversité ou contre la pollution chimique, préservation de la santé des écosystèmes, etc.). Ensuite, si la recherche doit, comme toute activité, limiter l’empreinte de ses pratiques, sa finalité spécifique, qui est de produire des connaissances au service de la société, lui confère la responsabilité particulière de s’interroger aussi sur les usages qui pourront être faits de ces connaissances (notamment leur transformation en innovations) et sur la manière dont ces derniers peuvent répondre aux problèmes que rencontre la société ou au contraire les pérenniser voire les aggraver. Le monde de la recherche doit ainsi se demander dans quelle mesure le fait d’utiliser ou de développer tel grand équipement (jumeau numérique, accélérateur de particules, grand calculateur) ou de travailler sur telle thématique (biologie synthétique, édition du génome des plantes) est susceptible d’engendrer des impacts néfastes pour la biosphère, de conforter à moyen ou long terme des modes de production ou de consommation non durables, etc. Inversement, la recherche doit maximiser son rôle moteur pour produire et mettre en valeur des savoirs permettant d’élaborer des solutions face aux bouleversements environnementaux en cours. S’il convient de se garder de trop compter sur le développement de technologies de rupture dans un horizon de temps pertinent, il est nécessaire d’orienter davantage la recherche vers la poursuite de connaissances et de solutions favorables aux transformations de la société (multiplication des programmes de recherche dans ce sens, ponts interdisciplinaires entre recherches appliquées et recherches fondamentales susceptibles de leur venir en appui, etc.). Le COMETS n’ignore pas que la considération de l’environnement s’impose d’ores et déjà à la recherche (dans des domaines comme la chimie, la biologie, le nucléaire, les expérimentations sont soumises au respect de normes environnementales ; certains appels d’offre subordonnent le financement à l’absence d’impact environnemental ; de nombreux programmes de recherche sont destinés à aider aux transitions écologiques, etc.). Le COMETS n’oublie pas non plus que nombre de personnels de recherche sont et ont été aux avant-postes en mettant en relief la dégradation de l’environnement, en alertant les pouvoirs publics, en recherchant des solutions innovantes. C’est précisément en raison de ce positionnement particulier de la recherche que le COMETS insiste sur l’importance d’inclure l’environnement parmi les enjeux éthiques auxquels les personnels de recherche sont confrontés. Il considère que cette approche, loin d’entraver la recherche dans sa liberté, sa créativité et la qualité de ses productions, est de nature à favoriser le renforcement d’une recherche attentive aux enjeux de société et pertinente aux yeux de la société civile et des personnels de recherche eux-mêmes. Le COMETS aborde ensuite la façon dont doit s’exercer, en situation concrète, la responsabilité du monde de la recherche à l’égard de l’environnement. Il ne lui revient pas d’arbitrer et d’estampiller comme « éthiques » ou « non éthiques » au regard de leur impact environnemental, les choix souvent complexes à opérer au nom de cette responsabilité (comment articuler la préservation de l’environnement avec d’autres impératifs de toute nature – santé humaine, formation des jeunes, souveraineté scientifique…– ? Faut-il privilégier le temps proche en s’interdisant une recherche polluante, ou le temps lointain en misant sur ce que cette recherche peut apporter de résultats potentiellement utiles à la préservation de l’environnement ?). C’est au monde de la recherche lui-même d’ouvrir en son sein un large débat sur ces questions. Pour le COMETS, il s’agit là d’une exigence première, bien avant toute mise en place d’instances ou de critères d’« évaluation environnementale » des projets de recherche, lesquels sont loin d’être inutiles mais pourraient contribuer à routiniser un questionnement qui exige avant toute chose d’être constitué en réflexion collective approfondie. Ce qui est en jeu, c’est en effet la sensibilisation des personnels mais aussi : le partage d’expériences novatrices entre laboratoires ; la recherche d’un bon équilibre entre frugalité des pratiques de recherche et trop plein d’exigences administratives ; l’échange entre des communautés de recherche dont les impacts sur l’environnement, les besoins et les objectifs sont très différents et entre lesquelles il convient de prévenir tout risque de stigmatisation et de clivage ; une réflexion d’ensemble sur les orientations de la recherche et la manière dont elles peuvent répondre à une demande croissante de justification par la société civile ; in fine, l’adoption de lignes de conduite. Le COMETS recommande que ce débat soit autant que possible équipé d’outils, de méthodologies, plus généralement d’un cadre théorique scientifiquement solide et partagé au sein du monde de la recherche. Dans cette perspective, il insiste d’abord sur l’importance que présente la mesure des impacts, et, à cette fin, la constitution des connaissances relatives à ces impacts, essentielle à une discussion éclairée et à l’identification d’indicateurs et de leviers d’action. Le COMETS n’ignore pas les difficultés que soulève une telle mesure, surtout lorsqu’elle porte sur l’impact des sujets de recherche (les méthodes disponibles sont limitées, le décalage temporel entre le choix d’une thématique et son éventuel impact sur l’environnement rend complexe toute appréciation ex ante…). Il observe toutefois que les travaux portant sur la mesure des impacts environnementaux et sur la contribution de la recherche à ces impacts se sont multipliés et il insiste sur la nécessité de considérer ce chantier comme un véritable domaine de recherche à développer. Le COMETS invite en outre à aborder l’impact environnemental de la recherche dans une perspective de proportionnalité. S’il relève de la responsabilité éthique de la recherche de se préoccuper systématiquement de cet impact, tout constat ou perspective d’impact néfaste ne constitue pas pour autant un obstacle de principe à la conduite d’une recherche. L’impact environnemental négatif doit en effet être mis en balance avec ce que cette recherche peut par ailleurs apporter de positif, à l’environnement lui-même ou à d’autres valeurs (santé humaine, capacité des jeunes chercheurs à travailler en réseau, géopolitique scientifique, etc.), y compris si c’est à moyen ou à long terme. Face aux forces diverses qui poussent à exagérer les bénéfices attendus, la proportionnalité implique de définir, expliciter et justifier les raisons pour lesquelles une pratique, une thématique ou un équipement de recherche est envisagé, et l’ensemble des conséquences attendues. Le COMETS a bien conscience des difficultés opérationnelles que ces préconisations soulèvent mais il estime que face à l’ampleur des défis à relever, le monde de la recherche ne peut faire l’économie d’une telle démarche. Recommandations à l’adresse de la direction du CNRS et des personnels de recherche A l’issue de son analyse, le COMETS invite à : 1. Reconnaître que la prise en compte de l’environnement fait partie intégrante de l’éthique de la recherche ; affirmer à ce titre la responsabilité des acteurs et actrices de la recherche de penser leur activité au regard des enjeux environnementaux ; cette responsabilité concerne non seulement l’empreinte des pratiques de recherche mais plus généralement l’impact environnemental négatif ou positif que le choix de tel ou tel sujet de recherche et de telle ou telle voie pour le traiter peut engendrer pour l’environnement au sens large, à court, moyen ou long terme. 2. Multiplier les espaces de discussion permettant à l’ensemble des personnels de recherche de débattre des enjeux et contours de cette responsabilité. Les laboratoires de recherche apparaissent comme les lieux naturels pour conduire ce débat ; le COMETS soutient à cet égard la demande formulée par le PDG du CNRS et la CPU, devenue France Universités, de nommer une personne référente pour le développement durable dans chaque unité de recherche. Le débat devrait être également mené dans des enceintes plus larges que les laboratoires, à l’échelle des communautés scientifiques locales, nationales ou internationales (instituts du CNRS, autres organismes de recherche, départements universitaires, groupements de recherche, communautés scientifiques partageant l’usage de grands équipements de recherche, etc.) mais aussi entre ces communautés (Académies et sociétés savantes, conseils scientifiques). 3. Outiller le débat d’un cadre méthodologique scientifiquement solide et partagé au sein du monde de la recherche ; ce cadre devrait a minima s’appuyer d’une part sur un principe de mesure des impacts, fondé sur la constitution des connaissances relatives à ces impacts, d’autre part sur une logique de proportionnalité qui, au cas par cas, en considérant les particularités de chaque situation, mette en balance l’ensemble des impacts négatifs et positifs d’une recherche. S’agissant de la mesure des impacts, le COMETS : - soutient les initiatives prises pour constituer les connaissances relatives aux impacts de la recherche sur l’environnement (bilans GES des laboratoires, du CNRS et de ses instituts, des équipements de recherche) ; - encourage à poursuivre cette évaluation et recommande que les tutelles aident les laboratoires dans ce sens, par exemple en simplifiant la réalisation du bilan pour les laboratoires multi-tutelles ; - recommande que le CNRS et les instances de prospective scientifique soutiennent et entreprennent des recherches permettant une meilleure mesure des impacts environnementaux (gaz à effet de serre, pollution, atteintes à la biodiversité, etc.) liés à de nouveaux champs de recherche ou à la poursuite des recherches en cours ; - souligne l’intérêt de développer une « culture de l’impact » au sein de la communauté scientifique, en proposant, entre autres, des formations et des écoles thématiques interdisciplinaires sur ce sujet. 4. Plus spécifiquement à l’adresse de la direction du CNRS, le COMETS : - recommande que le CNRS pérennise et renforce les moyens qu’il met en œuvre pour évaluer l’impact du CNRS sur l’environnement, afin de favoriser l’apprentissage organisationnel et l’acquisition d’une expérience consolidée ; - souligne l’intérêt de reconnaître et favoriser la capacité des laboratoires à apporter des solutions innovantes pour une conduite de la recherche respectueuse de l’environnement ; invite à soutenir des approches prenant appui sur les expériences locales des laboratoires ; recommande que le CNRS constitue une base ouverte des innovations de toutes sortes développées par ces derniers et la rende accessible, notamment au sein des organismes de recherche ; - encourage les services de formation : à sensibiliser et former les personnels à la dimension environnementale de l’éthique de la recherche ; à recruter des personnels pour organiser et animer des ateliers collaboratifs et développer une « culture interdisciplinaire de l’impact environnemental » ; à poursuivre leur démarche permettant aux personnels de recherche, quel que soit leur statut, de consacrer du temps, dans le cadre de leur métier, à la question de l’intégration des enjeux environnementaux dans la recherche ; - recommande d’accompagner les personnels de recherche désireux de réorienter leurs activités vers des pratiques et thématiques susceptibles de contribuer à une meilleure préservation de l’environnement. Dans ses relations avec les décideurs publics et privés, le CNRS devrait davantage soutenir et mettre en valeur tout ce qui, dans les productions des personnels de recherche (recherches, expertises, alertes), est de nature à informer les débats et à stimuler les actions en faveur de l’environnement. 5.- Le COMETS encourage : - les instances chargées de la programmation et du financement de la recherche ; - les instances chargées de l’évaluation des chercheurs et chercheuses ; - les instances du Comité national de la recherche scientifique chargées d’établir la prospective de leurs domaines de recherche à mener une réflexion sur la manière dont elles peuvent mieux prendre en compte l’impact environnemental de la recherche dans le cadre de leur action.

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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-03897202 , version 1 (13-12-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03897202 , version 1

Citer

Comité Ethique, Philippe Askenazy, Etienne Bustarret, Henri Carayol, Éric Guilyardi, et al.. OPINION 2022-43 "Integrating environmental issues into the conduct of research - An ethical responsibility. CNRS COMETS. 2022. ⟨hal-03897202⟩
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