"La modération est-elle une vertu sociale?" - Aix-Marseille Université Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2016

"La modération est-elle une vertu sociale?"

Résumé

Au livre X de la République, dans un passage qui fait suite à l’analyse ontologique de l’imitation, Socrate présente un curieux exemple pour décrire les effets pervers de la poésie sur l’âme : un homme « sage », – « raisonnable » ou « mesuré » seraient autant de traductions adaptées d’ἐπιεικής, mais elles suggèreraient une pétition de principe dans l’argument de Socrate –, confronté à un malheur aussi grand que la perte de son fils, le supporterait mieux que quiconque. Il ne le supporterait pas cependant sans un conflit intérieur, qu’il surmonterait plus aisément en présence d’autrui, car il rougirait de s’abandonner en public à son chagrin. L’exemple sert à illustrer le conflit de deux parties de l’âme : d’un côté celle qui résiste au chagrin, de l’autre celle qui y cède. C’est ce conflit qu’aiment à imiter les poètes et c’est pourquoi l’homme « sage » n’est pas un bon objet d'imitation : il est trop uni dans son comportement pour être aisément imitable et trop éloigné de ce que la foule expérimente et se plaît à voir représenté. L’exemple a de quoi surprendre le lecteur des neuf livres précédents : s’il retrouve dans la description de ce conflit intérieur les conditions d’exercice de la modération, il n’en retrouve pas la définition : un accord des trois parties, de l’âme ou de la cité, sur la partie qui doit gouverner. Ainsi semblent s’opposer, non seulement deux conceptions de l’âme, mais deux conceptions de la vertu : une vertu que l’on pratique parce qu’elle est comme la santé de l’âme, une vertu à laquelle on s’oblige parce que l’on se doit au regard d’autrui. Car la honte que l’on éprouve à être surpris en train de pleurer est une bonne raison, ou du moins une raison de plus, de dominer son chagrin. Plutôt que de supposer deux strates philosophiques correspondant à des strates de rédaction du texte, il nous semble plus intéressant de produire une lecture unifiée de l’œuvre. De montrer en quel sens la modération définie comme concorde est une vertu sociale. Dans un premier temps, il s’agira de mettre en évidence la spécificité de la modération : bien que vertu d’une âme et d’une cité tripartites, elle se caractérise par une opposition à deux termes. Dans un second temps, c’est le rôle assigné au regard qui sera analysé. La place laissée au regard d’autrui nous reconduit à des définitions non-philosophiques, sociales, de la modération : le jugement d’autrui nous impose de respecter les codes en vigueur, le νόμος/usage. Mais on montrera que cette contrainte extérieure peut être rationnelle et renforcer la raison ébranlée par la souffrance : le νόμος peut être une instanciation de la raison dans la cité.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01469821 , version 1 (16-02-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01469821 , version 1

Citer

Anne Balansard. "La modération est-elle une vertu sociale?": Platon, République X 603c-605a. Isabelle Boehm, Jean-Louis Ferrary, Sylvie Franchet d'Espèrey. L'homme et ses passions, Belles Lettres, 2016, 978-2-251-44577-9. ⟨hal-01469821⟩
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