À. Paris, Virgilio est interpellé par un agent de police, car il s'est mis à danser avec deux jeunes filles sur le parvis de Notre-Dame, et ce geste a choqué le représentant de l'ordre public. Or Virgilio n'a pas de papiers, si ce n'est celui où est griffonnée l'adresse d'Anna et qu'il ne veut pas donner 26 . C'est ainsi qu'Anna, de simple souvenir et amour d'adolescence qu'elle était, devient, selon un processus fréquent en poésie

. La-quête-d-'anna-devient-le-papier,-le-droit-de-passage, Mais Paris ? ou plus généralement la France, ou encore l'étranger ? est « ce pays d'où nul n'est revenu ». Pas plus que ses sept frères et que les autres habitants de son village, pas plus que Giuseppe ou Nâzim Virgilio ne reviendra. Tous ont été « mangés par les loups », Virgilio, lui, s'envole. Il est déclaré clairement, au début du récit, que Virgilio a pris le train « pour aller au pays des Loups ! ». Cette périphrase est dérivée d'une parabole narrée par les anciens quand Virgilio était enfant. Elle s'insère dans la première étape du périple, lorsque, à Milan (et donc en Italie, quand il est encore temps de revenir en arrière)

L. Anciens, . .. De-pepe-barrala-qui, . Pepe, . Bouffe, and . Les-loups-!-»-), fut mangé par les loups, et dont on ne retrouva que « ses Pieds dans ses Chaussures ! Et Rien d'Autre ». Et ils soulignaient combien il était important que cette histoire se transmette de génération en génération (« quand vous aurez des enfants à votre tour vous pourrez leur raconter en mangeant des châtaignes / Pepe Barrala bouffé par les loups On connaît la signification des loups dans les contes. Ici les loups, ce sont la ville, la région, le pays par lesquels l'émigrant est happé et dévoré. D'où la valeur allégorique de l'histoire de Pepe Barrala, car ceux qui sont partis ne sont jamais revenus : Virgilio se dit que peut-être tous les migrants ont été bouffés par les loups 27

. Arrivé-au-quartier-de-la-goutte-anna, A. Disparue, . La-maison-qu-'elle-habitait-avait-brûlée, and . Virgilio, Il joue le seul bien qu'il lui reste, les sous rouillés, au jeu de Paolo cracheur d'oiseau qui promet le retour au bonheur de l'enfance et du pays natal Et il gagne ! Et il s'envole... Envolé, Virgilio, à sa façon, a retrouvé Anna, elle aussi évanouie. Comment finir le récit autrement sans sombrer dans le mélodrame ou la bluette ? Quelles auraient pu être les retrouvailles d'un Virgilio et d'une Anna de soixante ans ? Anna était désormais « une vieille » (ce mot n'est pas péjoratif en italien) Et Gérard Gelas avait déjà traité le sujet, le menant à son terme dans un beau texte des Chants pour le delta, la lune et le soleil 28 intitulé Les vieux. Même si aucun préambule n'explicitait la scène, on pouvait comprendre qu'il s'agissait des retrouvailles de deux amoureux, quarante années après : « C'est bien toi, Et il la revoyait il n'y a pas si longtemps que ça

. Appareillant-elle and . Lui-accrochés-au-vaisseau-gémissant-d, un papyrus Accrochés à leur amour Ils étaient là face à face comme deux oiseaux Figés par l'éternité des coups secs des chasseurs Ils étaient comme la mort comme la vie Elle la vieille lui le vieux « C'est bien toi » disait-il et elle lui disait que « oui, Mon amour » Virgilio, l'exil et la nuit sont bleus ne se termine pas avec les retrouvailles de deux « vieux ». Le récit finit en conte fantastique, merveilleux, en fable pour enfants

. Ce-sont-d-'ailleurs-les-enfants-de-la-goutte, Les enfants, dont la logique n'est pas celle des adultes, ne s'étonnent pas de détails irrationnels Pour fêter cette victoire, « Ils organisent ce soir-là à la Goutte d'Or / Un grand bal étoilé ». En plein coeur du Paris des années 70, nous sommes partis dans la légende. Il faut des yeux enchantés comme ceux de Virgilio pour « infiltr[er] des étoiles de mer / Dans les embouteillages / Et des rosiers grimpants autour des fenêtres HLM ». Il faut des yeux de saint ou d'illuminé. Par la transfiguration du réel qu'il opère, par la sérénité qui accompagne chaque étape de son parcours, par l'amour qui le gouverne et par son ascension finale, Virgilio dépasse le stade humain et atteint le sacré 29 . Mais son envol est aussi un refus du monde civilisé. Dans un spectacle de 1972, L'éclipse de l'Indien, le protagoniste, en réaction aux convenances et à l'hypocrisie de la société, devenait Indien et à la fin s'envolait

. Dans-un-ouvrage-publié-en, où il retrace l'itinéraire du théâtre du Chêne Noir depuis sa création, Gérard Gelas expose en ces termes le but de son théâtre engagé : « Ce que nous voulons de toutes nos forces, c'est l'abolition de cet ordre social inique, mais pour retrouver le centre, cet instant incroyable où l'homme devient lui-même la plus haute forme du sacré, p.151, 1972.