La déformation sociale du temps est un défi pour nos institutions - Aix-Marseille Université Accéder directement au contenu
Pré-Publication, Document De Travail Année : 2018

La déformation sociale du temps est un défi pour nos institutions

Résumé

La déformation sociale du temps est un défi pour nos institutions Nous manquons de temps. Au coeur de ce constat, il y a deux grands phénomènes. Le premier est économique. Il a été décrit par Gary Becker. Avec lui, le temps apparait comme un actif économique, un capital fini amené à devenir de plus en plus rare. Le deuxième est d'ordre sociologique et a été développé par Hartmut Rosa qui propose de relire l'histoire moderne à l'aune du concept d'accélération sociale. Ces deux phénomènes se renforcent l'un l'autre. Plus nos sociétés accélèrent, plus notre capital-temps se raréfie et prend de la valeur. Cette combinaison forme un processus d'une puissance inouïe qui se situe au coeur du grand bouleversement de nos sociétés. Et c'est la possibilité même de l'action politique dans sa capacité à transformer l'ordre des choses qui est défiée. Avec Gary Becker, le temps devient un input comme un autre Dans le modèle néoclassique, le consommateur cherche à maximiser son utilité : U(x , y) en tenant compte des prix respectifs de chaque bien p x et p y et de son revenu R. Or, dans sa "nouvelle théorie du consommateur", Becker nous indique que ce que cherche en réalité cet agent c'est une "production" optimale de satisfaction. Il devient donc un producteur qui, pour produire les satisfactions qu'il recherche, va combiner des biens et services (x et y), ainsi qu'une autre ressource jusqu'ici ignorée par la théorie économique : le temps. A chaque bien de consommation est donc attachée une fonction de production par exemple pour le bien x : Q x = f(x , t), la quantité de satisfaction produite sera fonction de la quantité consommée du bien x et de la quantité de temps t mise en oeuvre. Le consommateur/producteur a le choix entre acheter plus de biens ou utiliser plus de temps. Il va donc être amené à comparer les prix de chacun. Le prix des biens est déterminé sur le marché des biens. Pour le prix du temps, Becker affirme qu'il est mesuré par le taux de salaire. Ainsi, il pourra obtenir une même satisfaction en combinant différentes combinaisons temps-dépenses en fonction des prix relatifs des biens et du temps. C'est le principe des courbes d'indifférence bien connu des économistes. Dans cette analyse, l'augmentation du salaire fait augmenter le prix du temps. Celle-ci va donc entraîner un déplacement de l'activité des productions à base de temps (inviter ses amis à la maison par exemple), vers des productions à base de dépenses (aller au restaurant). Depuis que le modèle technocapitaliste s'est déployé dans les pays occidentaux les salaires de la grande majorité des travailleurs n'ont que très peu augmenté. En conséquence le prix du temps n'aurait pas dû bouger. Or, et comme le prévoyait Becker, la valeur relative du temps augmente effectivement. De fait, cette substitution temps/dépenses s'explique par le fait que c'est le prix des produits qui baisse et non celui du travail qui augmente. Le consommateur/producteur, pour maximiser son volume global de satisfactions, cherchera donc bien à réaliser ses préférences par des moyens nécessitant moins d'inputs temps. La plupart des produits que nous consommons aujourd'hui, correspondent ainsi à une politique d'économie de temps. L'augmentation de la valeur de notre capital-temps explique en grande partie la croissance des pays occidentaux. C'est pourquoi, le capital-temps devient un véritable enjeux pour le processus technocapitaliste qui va donc chercher à s'en emparer. En 2004, Patrick Le Lay (PDG de TF1 à l'époque) fait scandale lorsqu'il déclare : « Ce que nous vendons à Coca Cola, c'est du temps de cerveau disponible ». Aujourd'hui, il apparaitrait comme un visionnaire. Avant tout le monde, il a compris que l'une des grandes sources de profit de la nouvelle économie sera la transformation du temps disponible en dépense. Dans le monde technocapitaliste, les produits sont de plus en plus fournis gratuitement en échange de quelques secondes d'attention de la part de l'utilisateur. Il faut donc que ces quelques secondes soient très efficaces. C'est au sein du Persuasive Tech Lab que se développent les recherches les plus avancées dans ce que l'on appelle le domaine de la captologie. Grace à ces travaux, le système technocapitaliste a pu développer des techniques de persuasion qui orientent l'individu vers un comportement marchand. Comme les
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)
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Dates et versions

hal-01817042 , version 1 (18-06-2018)
hal-01817042 , version 2 (10-10-2018)
hal-01817042 , version 3 (19-11-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01817042 , version 1

Citer

Renaud Vignes. La déformation sociale du temps est un défi pour nos institutions. 2018. ⟨hal-01817042v1⟩
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