, Et tu en sais quelque chose, Aliyah. J'ai eu la chance d'être amené à enseigner à Fontenay et ça, c'était merveilleux parce qu'il y avait des gens qui étaient intéressés et puis parce qu'il y avait des gens avec lesquels il y avait quelque chose qui se passait. Effectivement, c'était de l'ordre du côte à côte. Je n'avais pas le sentiment, même si je pouvais parfois le donner, d'être détenteur du savoir. Il y avait quelque chose qui naissait, qui s'organisait. C'est très compliqué, ces rapports d'enseignement. Une des questions les plus essentielles, sur laquelle je ne suis pas sûr d'avoir de réponse, c'est la suivante : à partir du moment où l'enseignement n'est plus simplement un transfert de connaissances, comme c'est le cas dans la position classique d'enseignant, comment est-ce qu'on organise la relation avec ceux que l'on forme ? Comment établit-on les relations avec les gens auxquels on fait passer des thèses, auxquels on met le pied à l'étrier pour la suite de leur carrière ? Ce n'est peut-être pas compliqué mais il y a un moment où c'est difficile à organiser. Il y a un changement de pied qui est difficile à trouver, LDB : Oui. En effet, il y a une chose dont je n'ai pas parlé, c'est tout le travail que j'ai pu faire avec un certain nombre d'étudiants

, Aliyah qui est restée dans le domaine de l'anglais et du langage de l'enfant, mais je pensais à d'autres doctorantes comme Amina Mettouchi, par exemple, qui après l'agrégation d'anglais est devenue spécialiste de berbère, SV : Vous avez aussi formé, je trouve, des gens très différents les uns des autres

, LDB : C'était la seule chose que je pouvais faire d'intelligent ! C'était d'essayer de pervertir un peu toutes ces jeunes dames ! [Rires

, AM : Et je pense qu'elles ne s'en plaignent pas ! Et on peut faire de l'anglais sans faire de l'anglais

, Je crois qu'il y a quelque chose qui est essentiel et qui est compliqué à négocier dans la fin de cette relation, c'est ce que j'appelle parfois le « meurtre du Maître ». C'est très compliqué. Pourquoi ? Parce que, lorsqu'on est disciple à la fois on en a envie et à la fois on n'en n'a pas envie. Meurtre, ne veut pas dire qu'on va prendre un couteau de cuisine pour égorger son maître. Cela veut dire que, d'une certaine façon, on va désinvestir quelque chose qui a été extrêmement fort, porteur, et qui a alimenté la relation qu'on a eu à celui ou celle qui vous a enseigné. Cela veut dire qu'à partir d'un certain moment, il va se passer quelque chose où chacun va pouvoir faire sa vie intellectuelle de manière indépendante, LDB : Absolument. Ça a été très important pour tout le monde, tant pour celles qui sont restées dans le domaine de l'anglais que celles qui l'ont quitté

, LDB : Oui, si ces termes vous parlent, c'est effectivement la question de sortir pour le disciple du transfert et de l'autre, pour le maître, du contre-transfert. Qu'est-ce qu'on laisse faire au disciple à qui on a donné un point départ ? Qu'est-ce qu'on va accepter de le voir changer ? Qu'est-ce que le disciple va conserver de l'enseignement du maître ? Et comment ça va se négocier ? Très compliqué. Encore une fois

, Un patient, vous n'allez pas fabriquer quelque chose avec lui, on ne lui fait pas passer une thèse. Un enfant, vous avez peut-être envie qu'il soit pianiste ou ce que vous voulez, mais il ne le sera pas, il fera ce qu'il veut et c'est tant mieux. C'est beaucoup plus facile de renoncer à des anticipations que l'on peut avoir vis-à-vis des enfants ou des patients pour leur laisser trouver leur place à eux. Des anticipations, on en a évidemment pour ses enfants, on ne devrait pas en avoir vis-à-vis des patients mais on en a et puis on les perd de manière récurrente, dieu merci ! Ce n'est pas parce que l'on est analyste que l'on n'est pas humain ! Comme analyste on réfléchit ensuite et on se demande ce que ça veut dire par rapport à soi-même que d'avoir eu tel souhait pour tel patient. Avec les étudiants, ce n'est pas la même chose parce qu'il y a un objet qui est créé en commun. Et dans la création commune, la position de l'enseignant est paradoxale. Cet objet créé, d'une certaine façon, s'il a un peu d'intuition, sa position lui donne la possibilité de le comprendre mieux que celui qui le fabrique. Mais ce n'est pas l'enseignant qui le fabrique. Et il ne faut pas l'oublier. Donc, ça le met dans une position qui est une position un peu particulière. Comme enseignant, vous avez le sentiment que vous savez mieux que l'auteur de la thèse ce qu'il en est, alors que vous n'êtes pas l'auteur et que de toute façon, l'auteur ne sait pas encore ce qu'il va dire, parce que ce qu'il va dire, ce n'est pas ce que vous, vous avez trouvé dans ce qu'il dit mais ce qu'il dira trois ou quatre livres plus tard quand vous n'y serez plus du tout. C'est très compliqué. Il y a deux formes majeures de sorties de la relation maître/élève. Il y a la rupture, la distance, AM : C'est très différent de ce qu'on vit avec ses enfants ? 145 LDB : Oui. C'est très différent de ce qu'on vit avec ses enfants et c'est très différent de ce que l'on vit avec ses patients. Parce que tant pour l'enfant que pour les patients, il y a l'idée que, finalement, ce n'est pas pour soi que l'on fait les choses et il n'y a pas d'objet commun défini

, Mais en revanche, la contrepartie c'est que quand je lis un chapitre je le lis vraiment très à fond. Ce recours à la fragmentation est constitutif de ma façon d'exister et de pouvoir penser. Ce n'est pas de la négligence. Chacun sa façon d'aborder les objets. Moi, ma façon de comprendre un texte, c'est de me poser la question de savoir ce qu'il me fait, comment il m'impressionne, à quoi ça me fait penser, et de repartir de mes associations pour remonter vers la vérité qu'il comporte. On peut me dire légitimement que c'est très égocentré, mais c'est comme ça que je procède ! Je comprends très bien qu'un étudiant ou une étudiante qui a pu penser que je n'avais lu qu'un fragment de tout ce qu'il avait peiné à écrire, en ait été extrêmement dépité. Je peux l'entendre, mais je sais aussi que les fragments que j'ai lus et la manière que j'ai eu de les lire ont plus nourri ma réflexion et ce que j'ai pu lui restituer que si j'avais procédé à une lecture complète de l'ouvrage. Ce qui compte, à mon sens, c'est le moment de la discussion avec un étudiant. Ce qui peut l'aider, ce n'est pas que l'on rectifie ses erreurs, AM : Et ça s'est passé, ça, avec Culioli ? 147 LDB : Oui mais ça s'est passé avec Culioli de manière un peu diffuse. Avec lui, à certains moments, j'en avais assez parce que je trouvais qu'il ne me donnait pas la reconnaissance à laquelle j'estimais avoir droit. Quand j'ai passé ma thèse, certains avaient été assez méchants pendant ma soutenance d'autres plus aimables. Jacqueline Guillemin avait été extrêmement précise dans les détails, mais avec une gentillesse et une courtoisie remarquables, alors qu'elle avait des objections de fond qui étaient tout à fait recevables mais qu'elle les laissait de côté pour ne pas me mettre mal à l'aise le jour de ma thèse. En revanche, Culioli, après la soutenance, m'a dit quelque chose qui n'était pas uniquement un compliment

, Quand j'ai publié mon premier roman en 1979 j'étais convaincu que je gravais les mots de ce texte dans le marbre et l'éternité. « Exegi monumentum aere perennius » dit Horace, « J'ai bâti un monument plus durable que l'airain ». Mon roman était publié au Seuil, qui est un bon éditeur, et j'ai eu des critiques dans de bons journaux. J'étais fier. Et puis six mois plus tard, l'éditeur m'appelle et me dit : « Est-ce que vous voulez acheter des exemplaires de votre livre ? Parce que on va l'envoyer au pilon. » [Rires] J'en ai acheté un certain nombre. Un coursier est venu me les apporter. Et quand j'ai vu les piles je me suis rendu compte que finalement la pérennité de l'écrit-en tout cas de mes écrits, ceux d'Horace ont tenu le coup-n'existe pas. C'est comme ça ! Certaines choses ne durent pas

, Couverture de Le non-moi. Entre stupeur et symptôme ©Gallimard, 2017.

, Et ça a été une équipée passionnante. Son exigence et son sens de ce que je voulais dire et que je ne savais pas encore formuler ont été remarquables. À nouveau un beau moment d'échange et de partage. Quant au livre lui-même, je sais bien qu'il sera tombé dans l'oubli dans quelque temps. Alors oui, bien sûr, cela m'amuse d'avoir un « Que sais-je ? » signé de mon nom et traduit en japonais. Je le montre à mes petites filles avec une fierté sans égale, 149 Par exemple mon dernier bouquin, Le Non-Moi, je n'avais aucune espèce de raison de penser que j'allais pouvoir le publier dans la collection dans laquelle il est sorti chez Gallimard

, Couverture de Les troubles du langage et de la communication chez l'enfant PUF, « Que sais-je ?, 2013.

, AM : Et l'interview dans « Grands Entretiens » ! [Rires] Merci pour votre temps Sophie et Laurent, c'était vraiment un chouette moment de partage