, travaillé deux ans pour rien, avec des réunions aussi interminables que multiples. C'est vrai que ça, ça m'a déprimé. Je commençais aussi à voir venir ce qui vous est tombé dessus après mon départ en matière de contraintes administratives

J. , Mais tant pis, d'autant que, devenu professeur émérite, j'ai continué à lire des thèses, et à participer aux réunions de mon groupe de recherche (le CICLAHO)

, Une fois devenu professeur, j'ai été « adopté » par à peu près tout le monde, y compris par des gens qui se détestaient, notamment en études cinématographiques, où les clans s'entrechoquaient gravement. J'avais la chance de n'entrer en concurrence avec personne. J'ai été ami à la fois avec Jacques Aumont et JeanLouis Leutrat ! Mon Chaplin cinéaste leur avait plu à tous les deux : le livre arrivait à un bon moment, où l'« analyse de séquence » devenait un exercice incontournable dans les enseignements de cinéma, Mon bouquin rentrait dans le détail du « langage cinématographique », et du coup il pouvait fonctionner aussi comme un « manuel » de cinéma. La « reconnaissance », si on peut utiliser ce mot

T. Chaplin,

, Ma thèse était énorme et en deux parties : la première revenait sur la personnalité de Charlot et la nature de son comique et confrontait deux principes antagonistes et complémentaires qui selon moi gouvernaient la dynamique de l'oeuvrece que j'ai appelé la « dépense charlotienne » et « l'économie chaplinienne ». La seconde partie procédait à l'examen systématique de tous les « moyens du cinéma » exploités par Chaplin (pour contester la doxa du désintérêt de Chaplin pour les techniques) : donc le scénario, la photographie, les mouvements d'appareil, le montage, le son, la musique, SH : Reparlons de ce livre un bref instant. Est-ce qu'il reproduisait ta thèse de doctorat ? 175 FB : Non

, SC : Oui, et tu as gardé la structure de la seconde partie en fait

. Fb-:-oui, J. Des-deux-personnes-en-qui-j'avais-le-plus-confiance, F. Bourget, and . Thomas, Mais François avait raison de dire que la deuxième partie était la plus originale, et que sa publication aurait sans doute plus d'impact que la première. En y réfléchissant, j'aurais pu prévoir leurs réponses respectives. François est passionné par les « ateliers » où les films se concoctent, alors que Jean-Loup aborde rarement les films par le biais des techniques

F. Bordat, « regarder les films de près pour ne pas être tenté de les p

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, On m'a souvent posé cette question, encore l'année dernière au Festival de Belfort. Non, je n'ai jamais cherché à faire traduire ce texte. Quand il m'arrive d'y retourner, c'est pour y rajouter des réflexions et des exemples, pour nuancer et renforcer mes conclusions. Pas le temps de penser à une traduction, qui risquerait en outre de me donner le sentiment d, SH : Tu n'as pas essayé de faire traduire ce livre ? De le faire paraître en anglais ? 179 FB

, Je vais reparler de Busby Berkeley qui m'a toujours énormément intéressé, mais cette fois d'une façon un peu provocatrice, qui risque de susciter des objections : en gros je vais dire que Berkeley était un grand féministe ! [Rires] C'est venu d'une conversation avec Alain Masson sur les dessous des actrices dans les films des années trente. Plus provocateur tu meurs : je profite de ma retraite. C'est quand même une communication sérieuse. Et puis je dois aussi faire un cours dans le Master de François Thomas (« Le film pluriel »), pour parler une fois encore des deux versions de La ruée vers l'or, une question sur laquelle je reviens depuis des années mais sur laquelle je retrouve sans cesse de nouvelles choses à dire, ou d'anciennes à préciser ou rectifier. Là, François me donne deux heures : je vais essayer d'être définitif. D'autant que, cette fois, j'ai vraiment consulté toutes les archives, SH : Tu travailles sur d'autres choses en ce moment ? 181 FB : Oui, j'ai une soutenance qui approche à Aix, une semaine Chaplin en Touraine, une conférence à l'université populaire de Lille et une intervention dans le colloque sur la comédie musicale associé l'exposition de N.T. Binh qui va commencer à la Philharmonie

. Une-mine-d'informations, Après ça, je crois que je vais quand même me mettre au ralenti pour m'occuper de mes petits enfants à Paris et de mon jardin en Bretagne. Ensuite, si j'ai le courage, je me mets pour de bon (au printemps par exemple, si je ne trouve pas encore une raison de repousser) à un projet qui traîne depuis longtemps

F. B. Oui, H. Bien-Écrire-un-livre-sur-will, and . Hays, J'ai recueilli une grosse documentation depuis vingt ans. J'ai déjà beaucoup écrit et communiqué sur l'autocensure hollywoodienne. Et là, ça m'ennuie de « laisser perdre », comme disait ma grand-mère. J'ai horreur de « laisser perdre

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, Hays n'a pas moins écouté Irving Thalberg que les nombreux lobbies qui s'attaquaient à l'immoralité des films. On peut toujours reprocher à Thalberg d'avoir « massacré » des films de Stroheim ou de Keaton. Mais sans lui, verrait-on encore Greed ? The Cameraman, dernier chef d'oeuvre de Keaton, serait-il jamais parvenu à projection ? Francis Scott Fitzgerald en a précisément parlé dans The Last Tycoon. Les séries épuisent la fiction 185 SH : Et dans tes projets, pas de place pour les séries, ou un petit peu ? 186 FB : Ah ! Je savais qu'on allait y venir, Grâce à une bourse Fulbright, j'avais fait d'assez longues recherches à la Margaret Herrick Library et à UCLA. J'ai des piles de photocopies, des documents rares. J'en ai transmis beaucoup à des collègues et des thésards. Mais j'aimerais bien écrire maintenant une sorte d'« hommage » à Hays

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, De moins en moins de films hollywoodiens en tout cas. Parce qu'il y a eu une période où le cinéma indépendant américain s'était lui aussi formaté dans une espèce de joliesse « Sundance », dont on voyait bien qu'elle constituait surtout une carte de visite pour ensuite faire carrière à Hollywood, SC : De moins en moins

, Je ne sais pas comment font Sarah, Monica, Ariane et quantité d'autres de mes anciens étudiants qui arrivent à visionner des centaines d'heures d'images. J'ai fait des efforts. J'ai passé mon été à regarder Treme. À raison d'un épisode par soirée. Épuisant. J'avais fait le même diagnostic à la fin de la première série que j'ai vue : Six Feet Under, que j'ai adoré. Je n'ai pas décollé de mon écran TV pendant une semaine. Et c'est bien le problème. Il y a trop de beaux films hollywoodiens (ou autres) qui me restent à voir pour maintenant me plonger dans cet océan sans fond. J'ai quand même réessayé avec Treme, FB : Je suis d'accord. Ma curiosité pour les « indépendants » reste intacte

. Le-constat-de-départ-est-toujours-le-même, On se dit tout de suite qu'il y a des gens solides à la barre. Ce que confirme l'heure qui suit. La façon dont la musique est intégrée aux épisodes (c'est une série sur des musiciens et sur le jazz Nouvelle-Orléans) est originale et même assez gonflée, puisque les morceaux (diégétiques) sont filmés dans la totalité de leur durée réelle. Chaque épisode comporte d'authentiques morceaux de bravoure, avec des performances d'acteurs tout à fait extraordinaires. Je suis tombé amoureux des héroïnes. Donc tous les soirs, pendant un mois et demi, j'ai regardé ça. Et ça m'a terrassé. Si je devais recommencer, je n'y survivrais pas. C'est physiquement et psychologiquement trop lourd

, SH : C'est certain

, C'est d'ailleurs le mot que je retiendrais pour exprimer mon sentiment : je trouve que les séries épuisent la fiction dans tous les sens du terme. Ce faisant, elles bouleversent mes habitudes et mes plaisirs de spectateur. Pourquoi ? Pour expliquer comment fonctionne le récit dans une série, j'imagine un grand damier, où la narration progresse en cochant les cases, chacune représentant une « bifurcation » possible de l'histoire. C'est l'ambition de tout explorer, de remplir in fine toutes les cases du damier qui s'avère épuisante. Et frustrante. Car les propositions les plus originales, les plus curieuses, viennent forcément au début, pour appâter, les plus convenues étant gardées pour la fin, pour une conclusion nécessairement plus « consensuelle ». L'obligation de cocher toutes les cases rend paradoxalement l'histoire plus prévisible, puisque les possibilités (les cases à remplir) sont de moins en moins nombreuses, et donc de plus en plus logiquement attendues. L'exhaustivité des propositions fait qu'elles finissent par s'annuler, FB : Mais quand même, ce qui me semble se reproduire partout, c'est un certain rapport à la fiction, qui lui aussi, littéralement, m'épuise

E. , , vol.16, 2018.

, Tout dire nous laisse vides. J'aurais bien peine à trouver ce que Treme m'a dit

, hollywoodien ; elle instaure un rapport spécifique entre le film et les spectateurs : l'ambiguïté qu'elle favorise sollicite l'interprétation, d'autant que la fiction, loin de gommer les solutions qu'elle ne choisit pas, les conserve, comme latentes, à l'esprit du spectateur. À chaque bifurcation du récit, la fiction s'enrichit des solutions qu'elle évite, des possibles qu'elle élimine. Serge dit cela bien mieux que moi dans plusieurs de ses textes

, SC : Je ne suis pas sûr qu'il n'élude pas lui aussi des scènes gênantes

». Sinon-un-«-message and . Celle, Et là je sens clairement la différence entre l'auteur d'un film et le showrunner d'une série. L'auteur et le showrunner se posent en réalité deux questions tout à fait différentes. La question que se pose l'auteur (de film), c'est : « Qu'est-ce que je veux dire, et comment je vais le dire ? ». La question que se pose le showrunner (de série), c'est « Qu'est-ce que j'ai dit, et qu'est-ce que je vais bien pouvoir encore dire maintenant ? ». Ces deux questions divergent radicalement. Voilà quelques-unes des raisons qui font que je préfère voir des films plutôt que des séries. Mais j'ai bien conscience que je caricature un peu et que j'ai probablement tort de mettre toutes les séries « dans le même sac ». Sarah trouvera des exemples pour me contredire. En outre, comme je l'ai dit, j'ai quand même pris beaucoup de plaisir à regarder Treme. Ne serait-ce que pour ses acteurs, réellement prodigieux, et surtout ses actrices, FB : À discuter. En tout cas, il reste dans le film d'Altman ce que j'appellerais une proposition

, Donc je dirais que le cinéma me laisse une liberté dont me prive la série, en m'aliénant radicalement à son dispositif et à son mode de consommation. Mais je dis ça sans mépris, parce que je reste persuadé que c'est effectivement dans les séries que travaillent les meilleurs film makers d'aujourd'hui

, il y a certaines séries qui travaillent plutôt l'idée d'incomplétude, où tout l'univers fictionnel s'avère par essence incomplet et ne pourra jamais complètement se révéler. Il y a des séries qui vont penser l'incomplétude. Comme Twin Peaks, Lost, ou The Leftovers, et c'est celles qui m'intéressent le plus justement, SH : C'est intéressant ce que tu dis sur cette impression de complétude du récit dans la série parce que justement

, Ce que j'ai exprimé ici, ce sont moins mes convictions que mes limites. Et il y a un point sur lequel tu as Francis Bordat : « regarder les films de près pour ne pas être tenté de les p, FB : J'étais sûr que tu aurais de nombreux exemples à m'opposer

E. , , vol.16, 2018.

, forcément raison : tout indique que les séries vont devenir notre principal objet d'étude dans les années qui viennent

, SH : Car j'y reviens : il y a des séries qui ne pensent pas du tout en termes de « cases à cocher sur un damier », mais qui se construisent plutôt par couches successives, par strates

, La vérité vraie, c'est que je n'arrive pas, physiquement, intellectuellement, à absorber autant d'images. Treme, c'est quatre saisons de douze épisodes d'une heure chacun ! J'ai raconté ça à Marc Chénetier et il m'a dit : « Je me suicide tout de suite !, FB : Je te crois tout-à-fait, et j'ai sans doute tort de trop théoriser

, SH : Et ce n'est pas grand-chose. Lost, c'est bien pire ! Il faut qu'on te trouve des miniséries

, Elle dure donc sept, huit heures maximum seulement. J'en avais vu une partie à l'époque où j'ai vu beaucoup de séries, où j'ai écrit sur des séries, mais je n'avais jamais vu la fin. Comme j'ai déniché le coffret d'occasion, j'ai été curieux de la regarder. Eh bien, ces sept heures m'ont suffi à avoir les mêmes réactions que Francis, une sorte de gueule de bois sinon d'écoeurement, parce que j'ai fait ça en deux jours (binge watching), sur un week-end. Je me suis dit « à quoi bon » ? Dans ce fonctionnement narratif, plus on remplit, plus ça s'épuise et ça finit par s'autodétruire, SC : Justement, j'ai revu il y a quelques semaines une mini-série des années 90 qui s'appelle Profit

, En tout cas, je retiens une chose de notre discussion, et peut-être une raison de la reprendre. J'aimerais réfléchir davantage à la comparaison entre « film choral » et série en comparant leur structure et leur fonctionnement. Encore faut-il correctement définir le « film choral » et en constituer un corpus représentatif. Peut-être qu'on peut réfléchir làdessus à partir de David Lynch, FB : Pardon Sarah : du coup, tu te retrouves un peu seule face à Serge et moi

, Il y a quelque chose qui se joue là que je ne retrouve pas dans Profit, où tout paraît faux : un fonctionnement feuilletonnesque faussement ouvert et faussement clos. C'est pour ça que je peux envisager de revoir Twin Peaks, qui appelle un vrai travail de spectateur. Alors qu'une série même comme Six Feet Under, que j'ai adorée, ne sollicite pas la re-vision : une fois que je sais ce qui est arrivé aux personnages, je n'ai aucune incitation à y revenir : c'est arrivé une fois pour toutes

, Car vous ne fixez votre attention que sur une partie limitée du corpus immense des séries. Je suis particulièrement intéressée par toutes les séries héritières de Twin Peaks, qui a eu une influence énorme sur toute la production récente, SH : Malgré les apparences, je ne crois pas que nous soyons fondamentalement en désaccord

E. , , vol.16, 2018.

, concerne justement pas ou peu les séries HBO dont tu parles. Je pense à Lost, The Leftovers, Buffy the Vampire Slayer

, 206 SC : Oui mais Buffy, c'est trop laid. C'est d'une rare pauvreté plastique. Le sentiment d'être la somme de ce qu

, En particulier cette idée que la spécificité du gag chaplinien repose sur sa façon d'imaginer « la plus petite différence » entre deux situations (ce qui produit le rire) pour mieux faire percevoir « la plus grande distance » qui demeure entre elles (ce qui force l'émotion). « C'est un circuit rire-émotion, où l'un renvoie à la petite différence, l'autre à la grande distance, sans que l'une efface ou atténue l'autre, mais toutes deux se relayant, se relançant. » Absolument génial, même si ça ne peut pas rendre compte de tout le comique chaplinien. J'ai beaucoup regardé aussi la vidéo de L'abécédaire. Je dois énormément à ma lecture de Deleuze (depuis L'anti-OEdipe, que je me souviens avoir lu et relu en 1972), comme à celle de Barthes et de Bazin. Je reviens régulièrement à ces trois auteurs. Mais s'il fallait faire la liste de tous ceux à qui je dois, famille, professeurs, auteurs, sans oublier quelques collègues de mon âge, dont la pensée, l'amitié, ou tout simplement l'exemple, ont été précieux pour moi à diverses périodes de ma vie, ça serait long et fastidieux. Je me ressens comme la somme de ce qu'ils m'ont donné. Oui, j'ai le sentiment sincère d'être cela : la somme de ce qu'on m'a donné. Mais aujourd'hui, mon admiration se porte surtout sur mes anciens étudiants, ou étudiants de mes étudiants devenus universitaires. Je n'en reviens pas de ce qu'ils arrivent à faire, dans des conditions autrement difficiles que celles que j'ai connues : je suis impressionné par leur puissance de travail, leur passion pour la recherche, leur enthousiasme pédagogique, sans parler de leur gentillesse-toutes ces qualités me paraissant largement excéder celles de ma génération, FB : J'ai assisté à quelques-uns à Vincennes, quand j'attendais qu'il parle de cinéma. J'ai surtout beaucoup lu et relu ensuite L'image-temps et L'image-mouvement