, Je fus saisi d'horreur en entrant dans la rue, de voir des furieux qui couroient de toutes parts, et enfonçoient les maisons en criant : tue, tue, massacre les huguenots ; et le sang que je voyois répandre sous mes yeux, redoubloit ma frayeur. Je tombai au milieu d'un corps de garde qui m'arrêta. Je fus questionné ; on commençoit à me maltraiter, lorsque le livre que je portois fut aperçu heureusement pour moi, et me servit de passe-port. Je retombai deux autres fois dans le même danger, Je me revêtis de ma robe d'écolier, et prenant une grosse paire d'heures sous mon bras, je descendis

, c'est-à-dire de franchir (donc de falsifier) les épreuves d'identification que la rue partout lui promet. Arrivé devant le collège de Bourgogne, où il étudie d'ordinaire, Sully doit amadouer le portier : le portier m'ayant deux fois refusé l'entrée, je demeurois au milieu de la rue à la merci des furieux

L. Portier, gagné par quelques petites pièces d'argent que je lui mis dans la main, ne me refusa pas de le faire venir. Cet honnête homme me fit entrer dans sa chambre 34

. Mentir and . Tel, Ecoutons Jacques Nompart de Caumont la Force (1558-1652), enfant du massacre. Laissé pour mort, il se cache une nuit durant sous les cadavres de ses père et frère, qu'il a vu exécuter : Il demeura ainsi tout nu, jusqu'à ce que, sur les quatre heures du soir, ceux de maisons voisines sortant, soit par curiosité, soit dans le désir de profiter de ce que les bourreaux pouvoient avoir laissé, s'approchent pour visiter les corps. Un marqueur du jeu de paume de la rue Verdelet, voulant lui arracher un bas de toile qui lui étoit resté à une jambe, le retourne, car il avoit le visage contre terre, et le voyant si jeune, s'écria : Hélas ! Celui ci n'est qu'un pauvre enfant ; n'est ce pas grand dommage ? Quel mal pouvoit il avoit fait ? Ce qu'oyant le jeune Caumont, il leva doucement la tête et lui dit tout bas : je ne suis pas mort ; je vous prie, sauvez moi la vie. Mais soudain, lui mettant la main sur la tête : ne bougez

M. De-béthune, M. Duc-de-sully, . De-sully, . Ministre-de-henri-le-grand, A. Paris et al., Sur les survivants, cf. Jérémie Foa, « En finir avec la coexistence. Survivre au massacre de la Saint-Barthélemy (1572) », dans Catherine Maurer et Catherine Vincent (dir.), La coexistence confessionnelle en France et en Europe germanique et orientale du Moyen Age à nos jours, Chrétiens et sociétés, vol.1, pp.269-284, 1814.

S. Mémoires-de, , pp.45-47

, maréchal de France, et de ses deux fils, les marquis de Montpouillan et de Castelnaut, depuis la Saint-Barthélemy jusqu'à la Fronde, pour faire suite à toutes les collections de mémoires sur l'histoire de France, vol.1, pp.19-20, 1843.

, Il existe une importante bibliographie sur la dissimulation à la Renaissance et à l'âge baroque. Parmi de nombreux titres, Miriam Eliav-Feldon, Renaissance Impostors and Proofs of Identity, 2012.

J. P. Sommerville, New Art of Lying : Equivocation, Mental Reservation, and Casuistry », dans Edmund Leites, pp.159-184, 2002.

. Paris, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, pp.159-184, 1988.

J. R. Snyder, Miriam Eliav-Feldon, Tamar Herzig, Dissimulation and Deceit in Early Modern Europe, Spring, 2015 ; Carlo Ginzburg, Carlo, Il Nicodemismo. simulazione et dissimulazione religiosa nell'Europa del'500, La giustificazione della simulazione nel Cinquecento », dans Eresia e Riforma nell'Italia del Cinquecento, pp.7-68, 1970.

R. Villari, E. Della-dissimulazione, . La, ;. Seicento, and . Cavaillé, Dis/simulations. Jules-César Vanini, François La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto, Religion, morale et politique au XVII e siècle, 1987.

, Mémoires, Nadine Kuperty-Tsur éd. et introduction, p.112, 2010.

, Ces pages se sont nourries de la lecture de travaux portant sur des contextes très différents, et notamment, Michael Pollak, L'expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l'identité sociale, 1990.

. Michel-de-montaigne, . Essais, V. Ii, and . De-la-conscience, Essais de Michel de Montaigne : texte original de 1580 avec les variantes des éditions de 1582 et 1587, R. Dezeimeris & H. Barckhausen (éd.), p.298

, On peut probablement dater l'épisode des années 1573-1574, au cours de la quatrième guerre civile, cf. Pierre Villey, Les sources & l'évolution des Essais de Montaigne, p.358, 1908.

I. Heidelberg and . Mayer, Ce que les guerres de Religion font aux personnes, c'est peut-être avant tout d'en faire des « escrocs malgré eux », contraints d'aller de simulacre en simulacre pour survivre, notamment parce qu'il est impossible d'être doté de « l'habitus » adéquat aux guerres civiles et que les hommes sont condamnés à jouer des « bouts de rôle » pour s'adapter à des situations inédites au sein desquelles leurs « performances » -réussies ou ratées -ont souvent pour enjeu la vie ou la mort. Placer la focale sur ces multiples épreuves de la vie quotidienne nous a semblé important pour évoquer la socialisation des personnes au temps des guerres de Religion et interroger les effets de cette socialisation singulière sur la construction des personnes : se forge-t-il alors un habitus spécifique ? Est-il comparable à celui qui se construit dans tous les conflits civils de quelque ampleur et durée ? Qu'on pense par exemple à ces personnes, nées en 1550 et qui, toute leur enfance puis adolescence, ont appris à mentir, à se déguiser mais aussi à dénoncer, à douter de leurs voisins, à euphémiser leurs pensées pour survivre en contexte hostile. On a envie, pour finir, d'évoquer les heures sombres et faute de réflexion contemporaine aussi poussée d'emprunter les mots d'Alexandre Koyré, écrits en 1943, pour lancer quelques pistes de recherche sur les effets du mensonge sur les personnes : Plongeons (un groupe) tout entier, dans le monde hostile d'un groupement étranger, immergeons-le, tout entier, au sein d'une société ennemie, avec laquelle, cependant, il reste journellement en contact : il est clair que, dans et pour le groupement en question, la faculté de mentir sera d'autant plus nécessaire, Confession et recognoissance de Hugues Sureau, dict du Rosier, touchant sa Cheute en la Papauté, & les horribles scandales par luy commis. Servant d?exemple a tout le monde de la fragilité, & perversité de l?homme abandonné à soy, & de l?infinie misericorde, & ferme verité de Dieu envers ses esleus, 1573.

. Poussons, la situation limite ; faisons croître l'hostilité jusqu'à la rendre absolue et totale. Il est clair que le groupe social dont nous sommes en train de suivre les avatars se trouvera obligé de disparaître. Disparaître en fait, ou bien, en appliquant jusqu'au bout la technique et l'arme du mensonge, disparaître aux yeux des autres, échapper à ses adversaires, et se dérober à leur menace en se

, L'inversion désormais est totale : le mensonge, pour notre groupe, devenu groupe secret, sera plus qu'une vertu. Il sera devenu condition d'existence, son mode d'être habituel

L. Boltanski and . Erving-goffman, Social Science. Informations sur les sciences Sociales, juin 1973, vol.XII, p.137

A. Koyré and . La-fonction-politique-du-mensonge-moderne, Les Réflexions sur le mensonge ont à l'origine été publiées à New York, dans Renaissance, premier numéro de la Revue de l'Ecole libre des Hautes Etudes (janvier-mars 1943). Elles ont été republiées, en anglais, en juin 1945 dans le Contemporary Jewish Record, Mensonge et image, pp.179-192, 1943.