, Médée dit à Jason : L'homme n'est jamais traître quand il quitte une femme. C'est à la femme de se satisfaire d'être Mère, car c'est la plus belle récompense ! J'allais jusqu'à penser [?] que pour mieux nous soumettre vous nous aviez attaché nos enfants au cou, comme on met un joug de bois dur à la vache, pour nous rendre dociles, pour mieux nous traire et nous monter

.. De-votre-société, Ces folies, je les pensais ces folies. Et je les pense encore !

, La pièce s'achève sur l'annonce de la rédemption finale qui sera, par le sacrifice accompli, celle de toutes les femmes : « Meurs, meurs ! pour faire naître une femme nouvelle ! » Précisons que Franca Rame récite ce morceau dans le texte d'origine, en dialecte d'Italie centrale. Dans sa traduction française, il perd une grande partie de sa saveur, et, entre autres, sa portée hautement populaire : Médée ne s'adresse pas aux reines, elle s'adresse à tout le peuple des femmes, et ici, en l'occurrence, par ses références à un quotidien paysan familier, Pour briser ce joug, elle tuera les enfants (« Mieux vaut laisser le souvenir d'une bête féroce que d'être oubliée comme une chèvre docile, qu'on peut traire et tondre et mépriser, et vendre au marché sans qu'il lui échappe un bêlement

. Si, qu'en est-il, dans les années qui suivirent, de la femme dite libérée ? A-t-elle retrouvé la force et l'autonomie qui étaient les siennes à l'aube du monde ? -et je me réfère ici à un sympathique monologue des années quatre-vingt -quand Ève, maternelle et tendre, essayait d'apprivoiser et d'instruire ce benêt d'Adam. Franca Rame suggère, par le pittoresque Journal intime d'Ève (1984) 37 , délicieux pastiche de drame antique mêlé de chant choral, que la femme, dès ses origines, a été supérieure à l'homme. Ève est intelligente et vive : c'est elle qui fait le premier pas vers Adam et lui adresse la parole la première, elle qui a donné leur nom aux éléments de la création

L. Dans-la-maman-bohème and !. Protagoniste-Évoque-sa-grossesse-en-termes-tout-aussi-sarcastiques-:-«-j'étais-si-contente-d'être-enceinte, Comme j'étais contente ! Neuf mois de vomissements ! Toujours au lit, tant j'avais peur de le perdre ! Et je me disais à moi-même, avec la voix de la sublimation, entre deux vomissements

, Là encore il y a deux personnes (la jeune fille et son amoureux) mais, dans le silence, seule se fait entendre la voix féminine. Il s'agit d'une farce que la jeune personne joue à son amoureux : elle l'oblige à attendre la nuit, sous la pluie, puis le fait monter chez elle, lui faisant croire qu'il court grand danger de se faire couper les c. par son père ; ensuite elle l'empêche de parler pendant toute la nuit tandis qu'elle-même l'inonde de flots de paroles. Bref, dans ce monologue déferlant, le jeune homme est muet et obéit. À la fin seulement, pp.59-66

. Non, ils ne peuvent pas m'entendre de la maison? Parce qu'ils ne sont pas là? il n'y a personne à la maison [?] Bien sûr, mon amour ahuri, je t'ai attrapé [?] et moi qui parle et toi qui te tais? à moi la victoire

. Venticinque-monologhi?, , pp.125-143

, ANTONIA : Avec moi? il n'y a même plus de sexe ! L'HOMME : Mais avec toi c'est différent? Pour toi j'ai beaucoup d'estime? [?] (il s'approche d'Antonia et la prend dans ses bras) la seule femme dont je ne puisse pas me passer, c'est toi? la plus chère que j, multiplie les aventures avec de toutes jeunes filles

C. , Car -Médée l'avait ouvertement dénoncé -si l'homme mûr trouve aisément de jeunes tendrons à se mettre sous la dent, la femme mûre parvient difficilement à faire de même. D'où, dans le faux couple ouvert, la vie joyeuse de l'un et la solitude désespérée de l'autre? Jusqu'au jour où Antonia trouve l'âme soeur en la personne d'un homme beau, intelligent et un peu plus jeune qu'elle. Coup de foudre sur la tête du mari qui ne s'y attendait pas ! Et la pièce, qui avait commencé par le désespoir d'une Antonia enfermée dans la salle de bain en train d'avaler des tubes de médicaments, se termine par une scène symétrique : le mari s'enferme dans la salle de bain et s'électrocute pour de bon en

A. , Mais n'est-ce pas une figure utopique ? Dans la réalité, la femme émancipée et épanouie existe-t-elle ? La femme émancipée, ce pourrait être celle qui, bien installée dans un appartement tout neuf avec salle de bain et appareils électroménagers ultra perfectionnés, s'est libérée des tâches ménagères et a pu aussi, éventuellement, conquérir une identité professionnelle. Mais les exemples de Maria (Une femme seule) ou de Caterina (Je rentre à la maison) ont montré qu'il n'en était rien 41 . Ce pourrait être celle qui, comme le mari d'Antonia (Couple ouvert à deux battants), aurait conquis une égalité limitée à l'indépendance sexuelle totale. Mais Franca Rame met le doigt sur le risque de dérive de cette conception de l'émancipation, qui fait de la femme un pur objet sexuel pour l'homme. Elle le soulignait déjà, en 1977, en pleines années de contestation féministe, dans le monologue Alice au pays sans merveilles 42 , qui se terminait sur l'énergique passage d'Alice entre les rouages d'une machine désinhibitrice, laquelle, une fois le travail terminé? empaquetait le produit : Mais que faites-vous encore ? L'emballage ? Quel emballage ? Je ne suis pas un objet? Je suis une femme, nom de Dieu ! Une femme lucide, qui a sa dignité. Allez-vous enfin comprendre que je suis une femme, maintenant ? que je suis consciente ? [?] la crème raffermissante, la gaine sans-soucis, le soutien-gorge coeur croisé, la crème dépilatoire ultra-rapide tsinn ! Le déodorant qui dure vingt-quatre heures ! Le suppositoire pour maigrir, la pilule contraceptive, le spray qui chasse les mauvaises odeurs, la laque qui élimine les pellicules [?] des talons aiguilles qui te remontent le derrière et te bousillent les ovaires, débarrassée de son mari à la fin de la pièce et entamant une nouvelle vie à deux avec un homme jeune, intelligent et ouvert, pourrait représenter l'aboutissement idéal du processus d'émancipation de la femme

, Cf. également La maman bohème

, On lui prépare un contrat faramineux, d'où son malaise (« Je suis en train de profiter, comme la plus sournoise des roublardes, de la situation d'angoisse et de frustration dans laquelle sont tombés la plupart des gens, y compris moi-même. ») 45 . Mais sa culpabilité concerne aussi sa vie de famille brisée. Ne pas se glisser dans le moule de l'épouse-mère toute dévouée aux siens, c'est prêter le flanc aux critiques des premiers témoins que sont les enfants, phrases amoureuses connectées à la sonnerie du réveille-matin, donnant l'illusion d'une présence tendre à côté de soi : Bonjour mon trésor, il est déjà neuf heures !, pp.97-103

, Mais en revanche resurgit, immense, le spectre de la solitude : Enfin je vais arriver à me débarrasser de ce complexe crétin de culpabilité que je gardais en moi? celui d'avoir détruit la famille? Je suis libre ! Je suis une femme qui a réussi? Je suis sur le point de signer un contrat? un tas d'argent? Enfin, je me réalise? Enfin je me retrouve seule ! Seule avec moi-même !

, expérimentation duquel, répondant à une petite annonce, elle s'est portée volontaire : un fauteuil qui berce et caresse les êtres en mal d'affection. La pièce s'était ouverte au son des mots doux du magnétophone berçant le réveil de Mattea, elle se termine sur le fauteuil de à câlins où une voix masculine caressante la console (« Oh ma chérie, Quelle solution alors ? La solution artificielle du « fauteuil à câlins

, Où est la solution ? Peut-être n'y en a-t-il pas et n'est-ce pas chez les femmes que l'on peut trouver des alliées? Est-ce bien Franca Rame qui s'exprime de façon aussi désabusée par le truchement du personnage de Mattea dont elle jouait le rôle (et dont elle avait à peu près l'âge) ? Mattea qui gronde Anna et l'accuse, avec ses amours « libérées

, Mattea répond à une petite annonce du journal Grassa è bello (C'est beau d'être grosse), et là elle apprend que les candidates doivent avoir des rondeurs harmonieuses, et qu'elles seront sélectionnées en fonction de ce critère et de leur acceptation ou non de se déshabiller : Employée : Vous êtes disposée à tout ôter ? soutien-gorge? et culotte ? Mattea : La culotte ? Mon Dieu, si un homme me voit sans culotte, je lui bloque l'érection pendant vingt ans ! C'est pour un film porno, Un malaise doublé de dépit, car l'obésité à son tour est devenue source de revenus, moyen de nourrir les fantasmes des acheteurs de revues pornographiques

, Et l'on jacasse de solidarité? on dit que nous sommes soeurs ! Mais en quoi ! Nous sommes soeurs, toutes unies pour les grandes causes? l'avortement? le divorce? ou après cinquante ans ? mais dans la vie de tous les jours, nous sommes des hyènes? et encore, les hyènes de temps en temps se reposent? nous, nous sommes insatiables ! Tu sais ce que je te dis, Tous les jours, nous mettons au point des traquenards, des méchancetés? contre les autres femmes? Que dis-je « femmes »? femelles ! Les autres ne sont que des femelles? et des putes !

, Anna et Mattea pourraient représenter les deux pôles extrêmes de l'émancipation féminine : l'une menant une vie débridée qui fait d'elle une « pute » (une pute qui ne demande même pas d'argent), l'autre ayant conquis sa pleine autonomie « morale

. Du-cri-d'ulrike and . De-mattea, Dans Le gai savoir de l'acteur Dario Fo, évoquant le besoin d'espoir chez le public, rappelait qu'une pièce peut se conclure de deux façons : soit par la catharsis, soit par la défaite, c'est-à-dire l'impuissance et l'abandon. Cette dernière solution, disait-il, il ne l'acceptait pas, « même au théâtre » 47 . Ici pas d'espoir, mais un problème posé, auquel les spectateurs, implicitement, sont invités à réfléchir. Or ils ont trouvé le spectacle angoissant : C'est un spectacle amer, il a beaucoup plu, il a ému ; mais les gens ont du mal à le voir sereinement, ils trouvent parfois trop lourde la saturation d'angoisse, plusieurs degrés dans l'analyse de la condition féminine ont été déclinés

». Les-«-récits-de-femmes, D. Dans-leur-ensemble,-n'ont-pas-une-veine-comique-aussi-chargée-que-bien-des-textes-de, and . Fo, Sans doute parce que, quand comique il y a, le rire ne peut être partagé par l'ensemble du public de façon homogène : hommes et femmes ne rient pas de la même façon (ni au même moment) du machisme caricaturé ou de l'autodérision. C'est même davantage le côté dramatique qui ressort, à l'issue de spectacles se terminant systématiquement par un morceau tragique (Ulrike, Le viol, Médée). Le combat des femmes pour les femmes (ou pour toute autre cause) est toujours difficile, vol.49

, Bien d'autres protagonistes de comédies de Dario Fo sont vaincus. Mais habituellement le spectacle se termine toujours sur un mot de confiance ou de défi envers l'avenir

C. Qu, il appelle « l'élégie de la mort », et qu'il refuse. Le gai savoir de l'acteur, 1990.

D. Fo, R. Nepoti, and M. Cappa, , p.145

C. Parliamo-di-donne, , p.119

. C'est-un-filon-qui-dérange-mais-qui-néanmoins and . Plaît, Avignon en propose au moins une version. Inversement plusieurs théâtres en Italie ont interdit des spectacles comme Tutta casa, letto e chiesa ou Parlons de femmes de 1991 (L'héroïne et La femme obèse) 50 . Aujourd'hui encore, à l'heure où j'écris ces lignes, Tutta casa, letto e chiesa, si l'on en croit le site du couple Fo-Rame est toujours à l'affiche en Italie. Si pour le moment aucune solution miracle n'a été trouvée, si aucune réponse ferme n'a été apportée, les constatations d'impuissance, d'échec ou d'impasse ne sont nullement des éponges jetées. Le fait de proposer à nouveau les mêmes spectacles, de les alimenter au gré de l'actualité, de reposer les problèmes à l'aide de nouveaux textes, les enrichissant des modes et des dérives dont les femmes sont victimes (chirurgie esthétique, mamies enceintes et autres affaires 51 ) est une manière d'interpeller le public, Couple ouvert, par exemple, a connu plus de sept cents représentations en Italie et à l'étranger : quel chiffre atteindrait-on si on les recensait aujourd'hui ? Presque chaque année le Festival off d, 1983.

, Il s'agit en général de théâtres gérés par les paroisses, nombreux en Italie, pp.109-111

. Cf, . De-la-série-le-commedie?-(l'uomo, and . Incinto, Previsioni meteorologiche movimenti di stupro in Italia, Voce amica, Ho fatto la plastica, La nonna incinta