. De-se-fermer-sur-le-texte-!-le-principal--dans, La lettre renvoie à un innommé qui fonde tout nomination possible

, Il faut donc en même temps marquer par le langage le fait qu'il y a un Nom, tout en maintenant ce Nom caché? Comment faire ? En prononçant autre chose chaque fois qu'on le rencontre, en recouvrant son Nom par un surnom qui le cache et le recouvre tout en en faisant mention. Ce serait précisément ce que nous enseigne la suite du verset, qui ne constitue plus dès lors une simple redondance. La traduction classique : « Ceci est mon Nom pour toujours et mon souvenir de génération en génération », devient dès lors : « Ceci est mon Nom à cacher/pour toujours, et (pourtant) mon souvenir de génération génération ». Comment en même temps cacher le Nom et en faire mention ? En en faisant mémoire -souvenir -avec un autre nom. Car si le Nom est seulement caché, je risque d'oublier qu'il est caché. Il faut donc pour qu'il reste caché sans que j'oublie qu'il est caché, que je lui donne un surnom qui rappellera que le Nom est caché à travers la mention que j'en fais

, Tel est le problème infini de la nomination du divin : comment dire ce qui ne peut être complètement dit ? D'où la deuxième défectuosité du texte : le texte est écrit pour faire signe, et il utilise toutes les ressources qu'il a en son pouvoir pour faire signe, pour susciter le lecteur au signe et à son appel, dans son manque. Car cette défectuosité est parlante : plutôt que la liaison attendue et normale, elle inscrit comme une coupure entre les deux mots -de génération / génération. Autrement dit, ce surnom qui doit rappeler le fait que le Nom est caché, devra être un surnom -un souvenir -non pas de génération en génération -dans une continuité sans rupture -, mais de génération/génération, en intégrant en lui une manière de rupture : il manque une liaison, il y a comme une coupure entre les générations, au coeur même de la transmission du Nom. Autrement dit : la manière dont je vais surnommer le Nom caché de Dieu pour rappeler qu'il est caché et que donc je ne le maîtrise pas, seulement partiellement, seulement de manière incomplète, la manière dont je vais le surnommer doit être génération / génération. Chaque génération doit générer à nouveau le Nom de Dieu, elle doit le renommer à sa manière propre, de telle manière à ce qu'il reste caché, et continue ainsi à faire signe, par-delà tout dévoilement possible qui le fixerait dans une évidence définitive. Sinon je vais bloquer le Nom dans son surnom, et vais finir par croire que Nom et surnom sont semblables, échangeables? Cela signifie que ce surnom doit évoluer en fonction de chaque génération et de sa situation. Chaque génération doit réinventer la manière dont elle va surnommer le divin, Mais on pourrait dès lors croire que ce surnom sera un surnom fixe qui remplacera fixement le Nom caché. Et le danger qui guetterait alors ce surnom

, De facto, dans la tradition juive, cela s'est transcrit par le fait que ce même Nom est surnommé différemment en fonction du contexte : lorsqu'on prie, on le surnomme Adonaï (Mon Seigneur), lorsqu'on étudie ou enseigne, on le surnomme Hachem (le Nom). De cette manière est inscrite dans le quotidien de l'énonciation la conscience que le surnom n

, Comme si la transmission devait sans cesse intégrer en elle et transmettre la rupture possible de la transmission, c'est-à-dire le fait que chaque génération doit réinventer sa relation propre à l'Infini 45 . Sans cela, elle risque de mal le nommer, de finir par le fixer et le capter dans sa nomination, et donc de le réduire à un instrument de pouvoir, de stratégie, si elle ne fait que le nommer à nouveau comme la génération précédente 46 . C'est pourquoi le Nom se retire, se cache : pour nous permettre de le surnommer à notre manière à chaque génération, et ainsi permettre à l'histoire de ne pas être close, de ne pas être la simple répétition d'elle-même à chaque génération 47, Il faut donc comme une rupture dans la transmission pour que le divin puisse faire histoire en cachant son Nom

. Le-tétragramme, Cela signifie que le texte biblique est traversé de part en part par ce Nom imprononçable et est donc plein de vides, de blancs, de trous -comme un emmental ! Dès que vous tombez sur le Nom divin -divine surprise ! -, vous le cachez et vous dites autre chose ! Cela veut dire que le principal -le principe fondateur de ce texte -vous échappe. C'est ainsi le coeur battant du texte qui au coeur de la parole que je prononce sur lui, résonne dans son silence ! Tout ce qu'on pourra dire plus avant, ne sera qu'une manière nouvelle de faire résonner le silence, un silence que nul ne peut dire et qui porte toute parole possible. Toute théologie n'est peut-être en ce sens que la manière de faire résonner un silence -le silence qui la fonde comme discours imparfait -, un silence qu'elle ne peut pas transmettre complètement, seulement partiellement

, Chaque génération doit avoir sa propre relation avec l'Infini, et la transmission vise à éveiller chacun à sa propre relation avec l'Infini : c'est ainsi que le Nom divin peut continuer de se révéler en se cachant, à chaque génération à nouveau, Seul le témoignage du sens permet de viser ce sens qui nous échappe et nous interpelle, et de maintenir ce sens en état d'émergence, de révélation

, Mais cela signifie que cette histoire du sens échappe quelque part au divin lui-même? Car en faisant alliance avec l'homme, il se rend dépendant de son partenaire, de celui qui reçoit son Nom et son cachement pour en témoigner dans l'histoire. Et c'est l'homme qui se découvre responsable de cette échappée du divin dans son désir d'alliance avec l'homme. Voilà un drôle de Dieu que celui d'Israël, qui fait alliance avec un peuple qui semble amené sans arrêt à le trahir. Pourquoi ? parce que l'homme ne peut jamais être à la hauteur de cet

, Ce phénomène est très visible au début de l'histoire du Hassidisme polonais : un de ses fondateurs -Elymelekh de Lizensk -voit un de ses élèves

, Et on pourrait continuer avec leurs successeurs, le Rabbi de Kotzk et Mordekhay Yosef Leiner de Izbitsa? Voir Edouard Robberechts, Les Hassidim, Maredsous, Brepols, vol.153, p.29, 1990.

, En ce sens, l'acte de transmission comprend deux faces irréductibles et complémentaires : premièrement, recevoir ce qui est transmis par la génération précédente ; deuxièmement, à travers cette transmission, remonter à la source infinie qui a suscité cette tradition et qui ne s'y réduit pas

, du pain azyme que l'on est tenu de manger à Pâque : la transmission aux enfants lors du Seder de Pâque se fait au-dessus de ce pain azyme, un pain qu'on n'a pas fait fermenter en introduisant dans sa pâte un morceau de pâte ancienne