L'invisible au prisme du corps déplacé, du corps entravé : le cas de l'anarchiste italienne Elena Melli (1889-1946) - Aix-Marseille Université Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2022

The invisible through the prism of the displaced body, the hampered body : the case of the italian anarchist Elena Melli (1889-1946)

L'invisible au prisme du corps déplacé, du corps entravé : le cas de l'anarchiste italienne Elena Melli (1889-1946)

Résumé

L’invisible au prisme du corps déplacé, du corps entravé : le cas de l’anarchiste italienne Elena Melli (1889-1946) Monique Pernin – Résumé de communication La lutte contre les anarchistes débute dès la fin du XIXe siècle, en particulier en Italie où cette lutte s’intensifie sous le fascisme. La répression a pour conséquence de repousser les anarchistes aux marges de la société italienne, voire hors d’elle pour ceux qui sont contraints à l’exil. Cette communication visera à identifier les leviers par lesquels l’État italien, libéral puis fasciste, parvient à invisibiliser Elena Melli dans l’espace social. Dans son parcours de vie, auquel j’ai accès en grande partie grâce aux archives du Ministère de l’Intérieur à Rome, j’ai choisi trois occurrences qui relèvent d’un biopouvoir ; ce concept, comme les lieux où est assigné le corps, résonnent avec les travaux de Michel Foucault mais aussi avec ceux de Philippe Artières. La première occurrence prend place pendant la Première Guerre mondiale. En mai 1915 des pouvoirs exceptionnels, extrajudiciaires, sont confiés au Commandement Suprême pour procéder à d’importantes évacuations de population afin de garantir la sécurité militaire des régions du nord de l’Italie. En mars 1918, Elena, qui fait de la propagande anarchiste et antimilitariste, est déplacée d’office de la banlieue de Gênes où elle travaille et vit, jusqu’en Calabre où elle est assignée au domicilio coatto [domicile obligatoire] et où trouver un nouveau travail est improbable. Si certaines incriminations sont communes aux deux sexes : attitude pro- autrichienne, espionnage, comportement subversif qui nuit à l’ordre public, nationalité étrangère, l’accusation de prostitution vise essentiellement les femmes. Elena est effectivement accusée de se prostituer auprès des soldats. La coercition qui s’exerce contre elle est en tout premier lieu physique et l’invisibilité est d’ordre géographique mais aussi politique, économique et juridique. Néanmoins l’agentivité d’Elena demeure : elle persiste dans son prosélytisme politique, ce qui lui vaut en septembre 1918 un nouveau déplacement vers un autre village de Calabre davantage isolé. La deuxième occurence se place sous le régime de Mussolini ; elle fait suite à l’approbation par décret royal du texte unique des lois de Sûreté Publique, le 6 novembre 1926. En tant qu’anarchiste Elena Melli est jugée potentiellement dangereuse pour la sûreté publique ; rapidement, en mai 1927, elle est assignée à résidence. Son corps n’est pas déplacé mais entravé dans sa liberté. Devant l’immeuble où elle vit à Rome sont postés jour et nuit plusieurs policiers qui la suivent dans ses déplacements. Le suivi pas à pas dissuade tout employeur et voir des amis devient problématique car ceux-ci sont ensuite la cible des autorités fascistes. Elena devient donc invisible économiquement et politiquement, socialement il lui reste une marge étroite. Le traitement est identique pour elle et pour son compagnon, anarchiste notoire ; ils ne sont pas traités au regard de leur identité sexuée, mais au regard de leur foi politique. La correspondance d’Elena, abondante bien que censurée, peut être assimilée à un acte de résistance, à une forme d’agentivité, à un espace de visibilité sociale. La troisième occurrence se rattache au corps à la fois déplacé et entravé. Du 27 septembre 1937 au 17 avril 1941, Elena est internée d’office au sein de l’hôpital psychiatrique provincial Santa Maria della Pietà à Rome, non pas pour des raisons de santé mais à la suite d’un véritable « rapt » à caractère politique. L’invisibilité est totale dans ce cas : elle est juridique, physique, sociale, économique et politique. La procédure d’internement, prononcée au mépris de la loi de 1904, témoigne d’une forme de pathologisation de la dissidence politique. L’écriture, celle de ses lettres, est cette fois sa seule fenêtre de visibilité sociale. Les situations étudiées montrent qu’au service d’une politique, la légalité ordinaire est suspendue. Les mécanismes de pouvoir en jeu dans les situations étudiées relèvent d’un biopouvoir, d’un pouvoir sur la vie des personnes.
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-03709096 , version 1 (29-06-2022)
hal-03709096 , version 2 (06-04-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03709096 , version 2

Citer

Monique Pernin. L'invisible au prisme du corps déplacé, du corps entravé : le cas de l'anarchiste italienne Elena Melli (1889-1946). Journée d'études des jeunes chercheurs-euses TELEMMe, Saisir l'invisible. La face cachée des sociétés, Jeunes chercheurs-euses TELEMMe, Aix Marseille Univ, May 2022, Aix en Provence, France. ⟨hal-03709096v2⟩
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