Les seuils politiques des écritures contemporaines du théâtre - Aix-Marseille Université Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2022

Les seuils politiques des écritures contemporaines du théâtre

Résumé

Entre la solitude et la communauté, le théâtre dresse l’espace déchiré d’une appartenance toujours fragile, toujours recomposé : sur le plateau ou à travers la salle, sur la page comme dans la mémoire, le procès verbal théâtral pourrait bien se jouer ici, dans cet entre de soi et de l’autre plutôt que dans la fable ou sur l’espace figuré du drame. Or, ce franchissement du monologue au dialogue, ce saut entre la parole solitaire et l’échange, s’il peut désigner l’histoire même du genre – la levée décisive du deutéragoniste introduit par Eschyle –, pourrait surtout nommer le geste politique toujours renouvelé du théâtre : une traversée de la solitude par la communauté. Penser l’entre du monologue et du dialogue, c’est d’une part cesser d’opposer ces formes et d’autre part rompre avec l’essentialisme de leur approche, pour mieux cerner les dynamiques et les relations qui les sous-tendent. Dans une perspective politique – celle de l’émancipation individuelle par et dans le collectif –, la distinction entre monologue et dialogue n’est pertinente que dans la mesure de cet entre, que chaque époque et chaque culture a interrogé : il n’est pas d’essence du monologue ou du dialogue, plutôt un usage propre à nommer un rapport entre une époque et ceux qui voudraient l’écrire quand il s’agit d’inventer de nouvelles manières de fabriquer des communautés et des solitudes en partage. Pour nommer notre présent, il semble ainsi décisif de s’interroger sur le travail fondamental que les écritures contemporaines du plateau opèrent sur le monologue et le dialogue. Car aujourd’hui, parmi les nombreux assauts que les écritures dramatiques ont lancés sur les constituants du théâtre – de la fable au personnage, du temps, de l’espace et du langage –, rien ne semble plus considérable que celui porté sur l’entre-deux de la parole, précisément parce qu’il n’est pas un constituant comme un autre, mais situe l’enjeu même de cet art. Car c’est là que se lève l’agôn, à l’endroit même de la déchirure entre soi et l’autre, entre nous et le monde : c’est-à-dire surtout dans l’espace commun, de part et d’autre des solitudes, qui fabriquent le projet politique d’une communauté. Entre le monologue et le dialogue se joue le théâtre en tant qu’il fait de la solitude ou de l’adresse le drame de sa possibilité, tout autant qu’il joue le politique comme une hypothèse toujours interrogée d’un projet commun. En suivant certaines scènes contemporaines – principalement ici celle d’Alexandra Badéa, de Kryzstof Wartlikowski, et de Thomas Ostermeier – cet enjeu de l’échange pourrait être le levier politique d’un questionnement que l’on se propose ici de conduire. Sur ces scènes, on ne peut que constater un usage largement revendiqué du monologue. Mais cette prédominance n’est pas le signe d’une convergence : plutôt trace d’une singulière pluralité pour engager un dialogue avec notre présent. Atomisation des individus broyés par le système marchand néo-capitaliste chez Badéa ; confidence intérieure comme masque d’une dialectique identitaire chez Warlikowski ; appel à reprendre la parole chez Thomas Ostermeier ; quête d’une présence du corps à soi-même chez Garcia ; rage de l’adresse et défi au monde chez Niangouna ; dialogue mental pour Lupa ; puissance d’arrachement onirique chez Tanguy : ces usages du monologue sont autant de franchissements vers un dialogue avec le dehors. C’est en cela qu’ils sont, à des degrés divers, un seuil politique. Non pas une réponse, doctrinaire et théorique, mais une lancée vers des territoires du monde à conquérir. Le monologue n’est pas ce qui précède un dialogue ni le dialogue ce qui répond à un monologue, mais dans les écritures (textuelles ou scéniques) parmi les plus considérables de notre temps, le travail exploratoire d’une relation des solitudes à la communauté élaboré pour désigner l’inscription d’un territoire – intérieur ou commun – dans lequel la solitude pourrait choisir, voire inventer, les communautés de son appartenance.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03801174 , version 1 (06-10-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03801174 , version 1

Citer

Arnaud Maisetti. Les seuils politiques des écritures contemporaines du théâtre. Françoise Dubor, Stéphanie Smadja. Entre monologue et dialogue, , 2022, 9791037020888. ⟨hal-03801174⟩

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