Le discours de Sainte Thérèse sur la mélancolie: émotions et communautés monastiques dans le Libro de las Fundaciones (1573-1582)
Résumé
L’objet de la présente contribution est d’analyser le discours de Sainte Thérèse sur la mélancolie dans le Livre des Fondations. Sainte Thérèse consacre plusieurs chapitres de cet ouvrage (qui raconte la fondation de plusieurs couvents de l’ordre des carmélites réformés ou déchaux) à la question de la mélancolie dans les couvents. Il conviendra en premier lieu de contextualiser le discours de Sainte Thérèse dans un ensemble plus large de textes et de discours produits entre 1570 et 1620 (environ) qui se préoccupent, tous, de l’incidence de la mélancolie dans le vie religieuse. Assiste-t-on à une « épidémie » de mélancolie religieuse qui hante aussi bien les laïcs que les religieux ?
Ensuite, il conviendra de définir ce que Sainte Thérèse entend par mélancolie : une maladie, une humeur, une émotion ou plutôt un faisceau d’émotions, que la sainte condamne vigoureusement. C’est pourquoi plutôt que de parler de la « mélancolie » comme sentiment ou émotion, on parlera plutôt d’une « nébuleuse » d’émotions qui se tissent autour du concept de mélancolie.
L’analyse du discours de Sainte Thérèse sur la mélancolie dans les couvents conduit à examiner le rôle des émotions (ou de certaines émotions) dans la vie monastique qui est, en grande partie (quoique non exclusivement) une vie collective, une vie communautaire : quelles sont les émotions légitimes, qui peuvent être partagées et encouragées ? et quelles sont les émotions illégitimes, à éviter ou à proscrire ? Pourquoi la mélancolie doit-elle être proscrite ?
Quelles sont les émotions qui « font communauté », qui font du collectif ? et quelles sont celles qui dissolvent la collectivité ? Il s’avèrera en effet que si la mélancolie est si sévèrement condamnée par Sainte Thérèse c’est parce qu’elle rompt la communauté, en faisant surgir des individualités, des protagonismes, des vécus individuels et solipsistes qui s’opposent à l’idée même d’être collectif. Le discours sur la solitude et la pratique religieuse individuelle, dans la solitude, qui préoccupe d’ailleurs à la même époque Sainte Thérèse et bien d’autres théoriciens de la vie spirituelle, est d’ailleurs étroitement lié au discours sur la mélancolie.
Par ailleurs, que nous révèle le discours de Sainte Thérèse des sensibilités religieuses à la fin du XVIe siècle et de leur rapport à l’autorité, à la norme, à l’institution ?
Enfin, on contrastera également ce discours sur la mélancolie avec d’autres passages de l’œuvre de Sainte Thérèse (notamment le Libro de la vida) où celle-ci exprime avoir ressenti ces émotions et où celles-ci apparaissent comme une étape, nécessaire et féconde, dans le chemin de perfection. On s’interrogera sur ces apparentes contradictions de l’œuvre de Sainte Thérèse. Une des clés de réponse réside, peut-être, dans le point de vue depuis lequel sont écrits ces ouvrages et les objectifs (bien différents) qu’ils poursuivent